21 August 2014
Le Monde (France) (p.12)

“Notre festival ne doit pas être autre chose que ce qu’il a toujours été, c’est-à-dire un espace politique neutre à destination des artistes.” Ces mots du directeur du Festival international d’Edimbourg, Jonathan Mills, se veulent rassurants. Mais ils ne reflètent guère la réalité. Car, à l’heure des festivals d’été – douze en tout, étalés sur un mois –, Edimbourg bruisse de débats sur l’indépendance. Le référendum a lieu le 18 septembre ; l’heure approche, la ville se fait fébrile. “L’Ecosse devrait-elle être un pays indépendant?” La question est sur toutes les lèvres.

Prenons ce septuagénaire à la barbe blanche, qui arbore un badge “Better Together” (“Mieux ensemble”, le slogan des unionistes), à l’entrée du Théâtre du Festival d’Edimbourg, l’un des hauts lieux du “In”. Il est venu voir la trilogie dont tout le monde parle, les “James Plays”, du nom de ces rois écossais médiévaux dont les manigances, sur scène, rappellent les sagas sanglantes d’un certain William Shakespeare.

Un Discours de Propagande

Si cet honorable festivalier se prononce assez nettement en faveur d’un maintien dans l’Union, il en est autrement du discours prononcé avec véhémence par Jacques Ier d’Ecosse, incarné sur scène par le comédien James McArdle: “L’Angleterre s’est toujours servie de notre prospérité ; elle nous a pris notre argent depuis des centaines d’années, et elle le fera encore pendant longtemps, car c’est une nation de gueux. “Et le souverain de conclure: “Désormais, je suis roi d’Ecosse. Ils n’auront plus jamais un seul penny vous appartenant!”

Comment ne pas voir dans cette charge une allusion claire aux arguments du camp du “oui”? En effet, les indépendantistes ne cessent de vouloir démontrer que l’Ecosse serait bien plus prospère sans l’Angleterre. Mais ces prises de position peuvent aussi agacer les festivaliers. Pauline Brown, amatrice de théâtre venue de Glasgow, a adoré ce Jacques Ier, plein de bruit et de fureur. Mais elle regrette – elle qui compte voter “non” – d’entendre en ces lieux “un discours de propagande”.

Du Côté des Artistes

Chez les artistes, le camp du “oui” semble prendre le dessus. Les partisans de l’indépendance se sont organisés, notamment à travers un site Internet collaboratif, National Collective. Ils n’hésitent pas non plus à porter sur leurs vêtements le badge bleu du “yes”.

L’artiste contemporaine Ellie Harrison a, elle, frappé un grand coup: son installation After the Revolution, Who Will Clean up the Mess? (“Après la révolution, qui fera le ménage?”) – présentée dans le cadre du Edinburgh Art Festival – consiste à exposer une série de canons silencieux dans le calme d’une galerie géorgienne de l’université d’Edimbourg. Dans un mois, à l’issue du référendum, si le “oui” passe, les canons cracheront… des confettis. C’est sûr, Ellie Harrison votera “oui” le 18 septembre. La jeune artiste se dit impatiente de voir le résultat de “l’événement politique le plus important de ces 300 dernières années”.

J. K. Rowling et David Bowie dans le Camp du “Non”

Face à un tel enthousiasme, le camp pour le “non” peine à émerger. “Il semble plus facile pour un artiste de faire son coming out homosexuel que de faire son coming out pour le “non”“, ironise l’écrivaine Denise Mina. La reine du “Tartan noir”, ces polars typiquement écossais, a pourtant choisi son camp. Et elle n’hésite pas à le clamer. “Disons que je peux me le permettre car je vends beaucoup de livres. C’est plus compliqué pour les artistes qui dépendent des subventions de l’Ecosse.” C’est un fait: la culture fait déjà partie des compétences du Parlement écossais, revenu en 1999 au moment de la dévolution ; les artistes n’auraient donc pas vraiment à redouter une baisse des subventions si le “oui” passait.

Denise Mina a été rejointe dans le camp du “non” par la romancière J. K. Rowling, mais aussi par David Bowie. Celui-ci a pris position en février, dans une lettre se concluant par un poignant – et très mal perçu – “Stay with us!” (“Restez avec nous”). Quelques mois après cet épisode, le chanteur fait encore l’objet de moqueries au sein du Festival, particulièrement dans la partie Fringe.

Dans une yourte plantée en plein Saint Andrew Square, à l’heure du déjeuner, se tient régulièrement une table ronde artistique intitulée All Back To Bowie’s. On s’y exprime sans détour, le plus souvent en faveur du “oui”. On y lit des poèmes, on y débat. Ici, un Space Oddity parodié à la guitare, exécuté sous les gloussements du public ; là, un débat angoissé sur le rôle des médias dans la campagne, accusés d’être “de fervents partisans du “non””.

Un Vote Des Jeunes Déterminant

Si, pour l’instant, les sondages donnent le “non” gagnant, le “oui” progresse. Dans un tel contexte, le vote des jeunes sera déterminant. Alex Salmond, premier ministre d’Ecosse et chef du Parti national écossais – à l’initiative du scrutin –, ne s’y est pas trompé, en accordant exceptionnellement le droit de vote à partir de 16 ans. Cette année, pour la troupe du Scottish Youth Theatre, c’est l’été des premières fois: d’abord, leur premier Fringe Festival en tant que comédiens ; et puis, en septembre, leur premier vote en tant que citoyens. Dans leur spectacle, intitulé Now’s the Hour (“C’est l’heure”), ces jeunes gens se moquent de tous, et de tout: des sondages contradictoires, de la langue de bois, des fausses promesses… Sans oublier David Bowie, cette fois accusé de condescendance. Et puis le ton devient plus grave. “Est-ce que ce sera comme un horrible divorce, où l’on se demande ce qu’on fait des DVD?”, demande, face à la scène, l’une des comédiennes.

“Un vote, c’est une lettre qu’on écrit à un futur soi-même”, disent, du haut de leurs 17 ans, ces douze jeunes gens. La pièce se termine, ils sortent de scène, se changent, sortent boire un café. Ils semblent enchantés de s’exprimer. “Qu’on ne vienne pas nous dire que, nous, les jeunes, nous sommes incapables de prendre une décision”, dit l’un d’entre eux. L’adolescent arbore fièrement le badge du “yes” sur son pull-over.

Johanna Luyssen